Alors que les tensions au sommet de l’État s’intensifient, Ousmane Sonko a laissé entendre, lors de l’installation du Conseil national de son parti Pastef, qu’il pourrait retrouver son siège de député en cas de limogeage de son poste de Premier ministre par le président Bassirou Diomaye Faye.
Mais si cette déclaration a fait grand bruit, plusieurs spécialistes du droit parlementaire s’accordent à dire que ce retour serait juridiquement complexe, voire compromis.
Un nouveau règlement… mais pas rétroactif
L’argument avancé par Sonko repose sur une récente réforme du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, notamment l’article 124, qui précise :
« La suppléance d’un député ayant suspendu son mandat pour siéger au gouvernement cesse au plus un mois après la fin de ses fonctions, sauf renonciation écrite. Le député est alors réintégré par le bureau de l’Assemblée. »
Cependant, pour Babacar Gaye, ancien président du groupe parlementaire Libéral et démocratique, cette disposition ne peut pas s’appliquer rétroactivement à Sonko :
« La loi ne dispose que pour l’avenir. Il aurait fallu que sa reconduction comme Premier ministre soit postérieure à son élection comme député. Or, ce n’est pas le cas », rappelle-t-il dans L’Observateur.
Un problème de chronologie
Le cœur du problème réside dans le calendrier des événements. Ousmane Sonko a été nommé Premier ministre avant d’être élu député. Il n’a jamais démissionné pour ensuite être reconduit, condition pourtant essentielle pour bénéficier de la nouvelle disposition.
Abdou Mbow, député du groupe Takky-Wallu, partage cet avis :
« La loi n’était même pas encore votée à l’époque. Il n’est donc pas couvert juridiquement par cette réforme. »
Un point confirmé par Théodore Monteil, ancien député, qui ajoute que le mécanisme de retour « concerne uniquement les députés élus puis nommés ministres, pas l’inverse ».
Le camp Pastef défend la possibilité du retour
À l’opposé, Amadou Bâ, cinquième vice-président de l’Assemblée nationale et cadre du Pastef, estime que le retour de Sonko est bel et bien possible :
« Il a suspendu son mandat conformément au nouveau règlement. S’il quitte la Primature, il pourra automatiquement le récupérer. »
Cette divergence d’interprétation illustre le flou juridique entourant la situation du Premier ministre.
L’épée de Damoclès de la condamnation pour diffamation
Au-delà du débat sur la légalité du retour, une autre menace plane sur Ousmane Sonko : sa condamnation pour diffamation dans l’affaire l’opposant à Mame Mbaye Niang.
Selon Ndiaga Sylla, expert en droit électoral :
« Tout député condamné pénalement peut être radié, sur demande du ministre de la Justice. Dans ce cas, la question d’incompatibilité ne se poserait même plus : ce serait une inéligibilité pure et simple. »
Et la loi d’amnistie dans tout ça ?
Certains partisans de Sonko brandissent la loi d’amnistie récemment votée comme solution possible. Mais l’ancien député Alioune Souaré oppose à cela l’article 61 de la Constitution, qui prime sur toute loi ordinaire :
« Dès lors que la Cour suprême a rejeté le rabat d’arrêt, l’article 61 s’applique. Comme ce fut le cas pour Barthélémy Dias, Sonko perdrait son mandat de député. »
Selon Souaré, cette perte de mandat ne pourrait toutefois être actée qu’à la demande expresse du ministre de la Justice, et constatée par l’Assemblée nationale.
Un retour hautement incertain
Malgré les déclarations du Premier ministre, son retour à l’Assemblée nationale reste juridiquement fragile. Entre les limites de la nouvelle loi, le timing problématique de sa nomination, et sa condamnation judiciaire, plusieurs verrous institutionnels semblent se dresser sur son chemin.
Le débat est désormais aussi politique que juridique, et la balle pourrait bien être dans le camp du ministère de la Justice.

